Le sillon de Talbert

A l'extrême pointe de de la presqu'île trégoroise formée par le Jaudy à l'Ouest et le Trieux à l'Est, le sillon de Talbert est le point d'exclamation d'une Bretagne résolument tournée vers l'océan.

Bon nombre de légendes sont liées à ce site extraordinaire !

sillon de Talbert

L'une d'entre elles dit que l'enchanteur Merlin est le bâtisseur de cette chaussée s'engouffrant vers le large : amoureux de la fée Viviane, il déversa là des cailloux par millions afin de la rejoindre ...

Une autre raconte que la fée Morgane (rappelez-vous : la Bretagne est le pays des fées et des korrigans !) s'était éprise d'amour (ici aussi, ce sentiment est à la base du conte ...) du roi Arthur. L'île de Talbert était alors séparée du continent par un bras de mer. Arthur vivant alors en Pleumeur-Bodou, au château de Kerduel, faisait de fréquentes chevauchées sur la grève menant "au bout du monde". Un jour, alors qu'il était arrêté au bord du flot, il fut attiré par un éclat doré venant du large. Portant son regard au delà de la langue de mer qui le séparait de l'ile où vivait la fée, il aperçut une belle jeune fille, assise sur un rocher, arborant une longue chevelure blonde que les reflets du soleil faisaient scintiller. Ce fut le coup de foudre ! Mais la belle était inaccessible et le roi, déconfit, s'en retourna en son château où sa cour ... et son épouse l'attendaient. Les jours suivants, ses sentiments le ramenèrent au bord de cette mer cruelle qui l'empêchait de rejoindre une belle qui, elle aussi, éprouvait le même amour fou. Ne pouvant y tenir, Morgane emplit sa robe de cailloux et, s'avançant vers le flot qui la séparait du roi, les jeta un à un devant elle : ils se transformèrent en millions de galets qui surgirent de l'eau. Elle s'arrêta toutefois à quelques brasses du bord, laissant devant elle une faille étroite où l'eau continuait à circuler : cette douve que l'on nomme Toul-Ster serait l'utlime rempart défendant son île. Elle seule pourrait la franchir : d'un bond, elle passa sur l'autre bord, rejoingnant ainsi celui qui devint son amant ...

Le sillon était né !

sillon de Talbert

Il est un langue de sable et de galets d'une longueur de 3 kilomètres s'élançant vers la mer du Castrec et les rochers qui la précèdent, tentant de barrer le flux et le reflux d'une eau qui en fait la richesse.

Presqu'au bout, parmi les galets les mieux exposés, des oiseaux marins pondent leurs oeufs que le promeneur inattentif risque d'écraser ! Sternes, gravelots et eiders se partagent un domaine que vous éviterez de déranger lorsqu'ils y nichent : leurs piaillements sont une invitation à vous éloigner : respectez-les ! Afin d'éviter une dégradation lente mais certaine du site et son abandon par la faune et la flore qui s'y développent, des travaux d'aménagement et de balisage ont abouti en 2007. La seule colonie de sternes naines de la côte ouest pourra désormais voir ses quelques couples nidifier en paix avant de reprendre sa migration vers l'Afrique. En hiver, la vie du sillon de Talbert est tout aussi intense : oiseaux migrateurs ou non, tournes-pierres, courlis, esclavons, barges, bécasseaux, chevaliers, bernaches, harles, huitriers-pies, cormorans, grèbes, pluviers, guillemots, plongeons et même pingouins Torda s'y partagent un domaine enfin abandonné par les hordes estivales de vacanciers trop souvent dévastateurs. La nature reprend alors ses droits.

Tout comme à la Pointe du Château en Plougrescant et ses grèves, vous foulez ici le royaume du chou marin mais aussi d'autres espèces plus rares encore. La renouée de Ray, la chardon bleu et le radis marin en sont les protégés, parmi d'autres encore que seuls les vrais amoureux de la nature reconnaîtront !

De part et d'autre de cet isthme bordé de récifs, les pêcheurs locaux puisent un goémon particulièrement prolifique, profitant sans doute d'un environnement favorable. Peut-être ont-ils une part de responsabilité dans la lente disparition du sillon : des cartes du 17ème et 18ème siècle représentent une chaussée qui, à cette époque, s'étendait sur près de 6 kilomètres ! Au début du 20ème siècle encore, elle était bien plus haute et la mer ne pouvait la recouvrir. Aujourd'hui, lors des grandes marées, elle disparaît par endroits ...
    Il faut dire aussi que durant des décennies et jusqu'il y a une centaine d'années, ses galets étaient ramassés pour contruire ou rénover des chemins. En 1970, une tentative de sauvetage par enrochements se solda par une dégradation plus rapide encore ! 2003 marquera peut-être le commencement d'une renaissance pour le sillon : devenu propriétaire, le Conservatoire du Littoral entame des travaux qu'il espère salutaire.

sillon de Talbert

En parcourant la pointe, vous longerez par endroits les champs de choux-fleurs qui vont presque à la rencontre de la mer. Jusqu'à l'avènement de la motorisation et pendant quelques décennies encore, les agriculteurs de la Pointe les enrichissaient du goémon échouant sur les plages. De lourds chariots tirés par des chevaux bretons, race vigoureuse et d'aspect massif dont beaucoup ont oublié l'existence, venaient déverser le meilleur des amendements pour produire des légumes d'une excellence dont seuls les anciens se souviennent. Aujourd'hui encore, certains nostalgiques tentent de revenir à cette culture traditionnelle. Peut-être rencontrerez-vous un de ces vrais (!) paysans au détour d'un sentier. Si vous avez cette chance, écoutez-le et suivez-le s'il vous invite à goûter au véritable "Prince de Bretagne", ce fameux chou qui doit sa blancheur immaculée à cette pratique ancestrale.

Au large, le plus haut phare de haute mer de France culmine à 45 mètres. Construit en 1839 sur le plateau rocheux dont il porte le nom, le phare des Héaux de Bréhat protège les navigateurs d'une côte où les récifs sont nombreux.

Le sillon de Talbert est aussi un paradis pour le pêcheur à pied car les étendues de sables, galets et rochers regorgent d'une faune aquatique particulièrement abondante. Chaque lagon y est un refuge de crevettes ou d'étrilles, chaque rocher peut receler un tourteau, une araignée ou un homard ... Entre ces cailloux le sable couvre, le temps de la marée, des bancs de palourdes et de praires qui font les délices de celui qui a pu les dénicher.

Mais comme c'est presque le bout du monde, peu d'estivants s'y aventurent ...


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