Le Yaudet, Vetus Civitas

Sur la Pointe du Yaudet, à l'embouchure du Léguer, naquit une cité d'importance, connue au Moyen Age sous le nom de Vetus Civitas. Vieille Cité ou Vieux Monastère, selon les étymologies, elle sera ensuite nommée Ar Yoded en breton, Le Yaudet en français. Il est toutefois une autre étymologie possible quant à l'origine du nom de cette ville antique : "yeod" (herbe) et "er ed" (blé) ou "yeoded" par contraction pourrait signifier aussi "blé qui poussa de l'herbe". Cette étymologie pourrait être justifiée par l'occupation ancienne du site par une population de cultivateurs ...

Le Yaudet entrerera dans l'histoire des hommes à partir du Néolithique, 5000 ans, environ, avant notre ère. Contrairement à d'autres régions du pays où les mégalithes marquent souvent le passage de populations de cette époque, cette ancienne cité n'en a gardé aucun monument encore visible de nos jours. Seules les fouilles entreprises ici ont permis de trouver des objets usuels tels qu'outils de silex, haches polies et fragments de poterie.

estuaire du Léguer à Ploulec'h

Dominant l'estuaire du Léguer au nord, protégé par la vallée de la Vierge à l'Ouest, ce promontoire se révèlait être un endroit idéal pour installer une communauté. Aucune trace d'habitation n'a toutefois résisté au temps, même si plus tard, à l'âge du bronze, le site était toujours occupé. La mer était alors plus éloignée de la côte et il n'est pas impossible que le limon et le sable de l'embouchure de la rivière couvrent aujourd'hui des vestiges à jamais perdus ; en effet, c'est dans le lit du Léguer que furent draguées des armes de cette époque.

Les toutes premières traces d'habitations datent du premier siècle de notre ère.

baie de la Vierge au Yaudet, Ploulec'h

Un village de quelques centaines d'habitants occupait alors la plateau au sud, surplombant le port, et la population transformera la Pointe en éperon barré. Les hommes bâtirent un rempart fait de terre et de pierre allant des rochers de Beaumanoir, dominant la baie de la Vierge, jusqu'à la pointe rocheuse qui descendait vers le port. Ce dernier deviendra une porte maritime permettant des échanges commerciaux avec d'autres tribus celtes et la Grande Ile. On y a, en effet, retrouvé des monnaies utilisées par les Abrincates, les Osismes (la tribu locale, trégoroise) et les Coriosolites. Ces échanges se développeront avec l'Italie lors de l'occupation romaine et le petit port du Yaudet sera intégré au réseau des voies qu'ils auront créées. Les attaques saxonnes puis vikings sur les côtes bretonnes provoqueront un renforcement des défenses du village par la construction d'un mur de pierre percé de portes d'accès dont certains vestiges sont encore visibles. Une garnison romaine protègera le site jusqu'au 4ème siècle.

corps de garde au Yaudet, Ploulec'h

Après le retrait de ces troupes, la petite communauté celte se repliera sur elle-même, revenant à une vie de pêche locale, d'agriculture et d'élevage, perdant peu à peu l'importance qu'elle avait auparavant. La transgression provoquera progressivement le transfert des activités maritimes plus haut dans les terres, Lannion devenant alors le port du Léguer. La baie de la Vierge sera barrée par un mur de pierres dont l'usage était, sans doute, de piéger le poisson à marée descendante ou de faire tourner un petit moulin à marée. Nul ne le sait, aucun écrit ne subsiste de cette époque. Selon certains historiens, le Yaudet verra la première cathédrale du Trégor et en sera le premier évêché sous Gwenalus (ou Guennaleus), en l'an 169. Aucun élément tangible ne peut toutefois en attester et, en 555, Rome reconnaîtra officiellement Tugdual et la fondation de l'épiscopat de Tréguier. A partir du 5ème siècle, les assaillants vikings se présenteront fréquemment aux portes de la petite cité, malgré le renforcement des défenses entamé déjà sous l'occupation romaine. En 836, ils brûlent le village, faisant fuir ses habitants et, selon certains, une tribu de Lexobiens venus s'y établir au début du 7ème siècle. Le retour de ses habitants, après le départ défintif des assaillants, fera revivre le Yaudet pendant 4 siècles. Il fut ensuite graduellement déserté et ses habitants se regroupèrent en une nouvelle communauté, autour de l'église actuelle de Ploulec'h, d'autres remontant jusqu'à Lannion. C'est à partir du 13ème siècle que cet exode débuta, les derniers habitants quittant le promontoire au 16ème siècle. Les maisons abandonnées furent abattues, les unes après les autres, et leurs matériaux récupérés pour d'autres constructions. Le site n'en gardera pas moins une importance stratégique et les tentatives d'invasions anglaises amèneront la construction d'ouvrages défensifs. C'est ainsi que fut érigé, au 18ème siècle, le corps de garde qui domine aujourd'hui la Pointe du Yaudet, sur les fondations d'un ancien fortin romain. Ruiné, il fut restauré en 1982 et recouvert de lauzes de Locquémeau pour apparaître tel que vous le verrez aujourd'hui. C'est plus tard, en 1845, que fut bâti l'abri des douaniers dominant l'ancien port, sur les fondations d'un autre fortin construit au 3ème siècle par les Romains.

chapelle du Yaudet, Ploulec'h

La légende raconte qu'Enora, la chaste épouse de Saint-Efflam, partie à sa recherche en Armorique, vit son esquif de cuir échouer dans la baie de la Vierge, retenu par les pierres en fermant l'entrée à marée descendante. Un monastère fut dès lors fondé à cet endroit. Il n'y subsistera que du 5ème au 8ème siècle et fut sans doute à l'origine d'une légende qui voulait que le Yaudet fut le premier évêché, éphémère, du Trégor. Les pierres d'une première église remontent au 11ème siècle de notre ère, sur les fondations d'un temple romain dont elle récupéra certains matériaux . Composée de deux nefs et six travées, elle subit des modifications du 13ème au 17ème siècle et sera détruite en 1855. C'est à la requête des Kerninon que la chapelle actuelle fut érigée et achevée en 1861, sur les fondations de l'ancien lieu de culte.

De style Beaumanoir avec clocher-mur et tourelle d'accès, elle est constituée d'une nef à six travées et d'un choeur. Elle a intégré certains des éléments d'architecture de l'ancien édifice.

retable de la chapelle du Yaudet, Ploulec'h

Il en est ainsi du retable, représentation plutôt rare, quoique présente en certains lieux de culte en Armorique, d'un des deux courants de la mystique chrétienne. Cet ensemble naïf figurant une vierge couchée, amputé des volutes d'encadrement du lit, date du 17ème siècle. L'origine d'un tel symbole est toutefois bien plus ancienne, remontant à l'occupation romaine. Afin d'éviter un affrontement avec les populations locales que les enseignements druidiques avaient marqués, ils produiront dans le temple qu'ils bâtirent sur ce lieu un tableau représentant la déesse Cybèle couchée et allaitant un enfant. L'église du Yaudet devenue chapelle au cours des ans fait depuis longtemps l'objet de pélerinages ainsi que d'un pardon annuel. Presque cachée par des pins lui faisant ombrage, elle trône dans un enclos paroissial datant du 16ème siècle, ouvert sur une porte monumentale et bordé de trois échaliers.

Un peu plus bas, non loin du versant de la baie de la Vierge, juste après l'ancien mur gaulois, vous apercevrez un massif rocheux, au milieu d'une végétation basse entrecoupée d'herbus : les "rochers du château". La pierre la plus imposante, plate-forme granitique dominant le site, est sculptée d'une rose des vents à 8 cadrans. Elle était un poste d'observation qui servit tout au long de l'occupation humaine du Yaudet. Un peu plus loin, à l'intersection du sentier menant d'un côté vers la Pointe et de l'autre en surplomb de la baie de la Vierge, vous pourrez trouver une très ancienne fontaine, Feunten Goz. Elle atteste que les hommes qui occupaient le site pouvaient y vivre en parfaite autarcie.

Si vous êtes arrivé ici en longeant les rives du Léguer descendant de Lannion, vous n'aurez sans doute pas traversé le village de Ploulec'h. Descendez alors la ruelle qui dégringole vers Pont Roux et l'anse de la Vierge. Quelques maisons s'y abritent à l'ombre des arbres, de part et d'autre du ruisseau de Pontol. Au delà du petit pont, remontez le chemin qui mène vers les falaises de Tredrez, une prochaine étape.

embouchure du Léguer au Yaudet, Ploulec'h

Presqu'arrivé au sommet, retournez-vous une dernière fois : c'est d'ici que vous aurez la plus belle vue sur l'embouchure du Léguer et le Yaudet. Ensuite, avant de quitter ce territoire , si vous voulez poursuivre dans la découverte de l'histoire de ce village, faites une dernière incursion dans les terres en vous dirigeant vers son bourg.


suite